Textes

– Je peins.

– Je peins et distribue des supports peints dans l’espace. Chacun de ces supports (toile, feuille, planche…) se fait outil, munition, module supplémentaire destiné à nourrir de grandes compositions fluides. Des compositions au sein desquelles les images se complètent, tissent des réseaux de sens, jouent d’harmonies et de contrepoints.

– Je photographie et filme aussi, plus ponctuellement, pour compléter les dispositifs picturaux et concevoir une peinture qui ne puisse qu’être difficilement réduite à sa dimension d’objet. Une peinture nourrie d’installation, immersive souvent, désireuse d’évacuer le tableau et de déborder son support.

– Enfin, je tends vers la production d’une peinture ouverte et mobile, capable de s’inscrire dans des logiques collaboratives et d’accueillir en son sein les productions d’artistes tiers, avec lesquels un dialogue peut s’engager : citations, duos, incorporations…

Cette volonté de collaboration s’impose avec une évidence croissante au fil des travaux récents : citations (d’après Camille Henrot, East Eric, Mona Hatoum, François Morelet…), duos (avec Benoît Blanchard en 2017, Aranthell en 2018, Guillaume Belvèze en 2019), projets collectifs (Peak Nic, avec Guillaume Belvèze, Alexandre Paty et 8 performeur·se·s invité·e·s) et expériences de co-commissariat (autour du projet Tender Fluid). Une façon de promouvoir ouverture et horizontalité, d’augmenter mes propres réflexions du travail d’autres et de dessiner, in fine, une attitude picturale éprise de marges et soucieuse de s’inscrire dans des relations non-autoritaires.

Pascal Mouisset
septembre 2022


Passager d’un été à Soisay, vaisseau ancré dans un océan de blé.
En huis clos avec la musique de son casque, Pascal navigue alternativement sur deux grandes toiles montées aux premiers jours de juillet au pignon nord de l’atelier. De jour sous l’œil de Benoît son comparse, et dans la solitude de la nuit à la lumière crue de l’atelier.
De tout son corps, à un rythme hypnotique, il oscille, communie avec les couleurs et les formes, course le temps qui efface et reprend, en superposant les glacis. À la fuite de l’été, aux jours qui déjà s’abrègent, il oppose le temps élastique de son travail dont le terme est incertain. La question sans fin du dernier coup de brosse.
Peindre pour lui serait mouvement, danse avec l’impermanence.
Des tâches de lumière sourdent de la matière picturale, autant de refuges dans une course éperdue. Des perchoirs pour l’âme.

Aline Legrand
Résidences d’été du Manoir de Soisay, juillet 2023


Le travail de Pascal Mouisset dépasse le cadre traditionnel de la peinture. Ses toiles cohabitent avec
la photographie et la vidéo, elles s’adaptent aux lieux, s’ouvrent et tissent des liens vers l’extérieur.
Afin de créer de nouvelles compositions dans l’espace, les toiles perdent de leur « frontalité monumentale » pour s’élever au-dessus du public et céder la place à la fluidité et la tendresse.

Ainsi, la peinture réalisée en technique de glacis crée sa propre aura pour dépasser la simple matérialité de la toile. L’installation immersive invite à redécouvrir l’espace peint et plonge le spectateur dans sa surface aqueuse, informe et romantique ou ce dernier se retrouve submergé par la couleur débordante.

Dans une démarche de collaboration et d’échange, comme l’indique le titre Demander à une idée étrangère et voisine le meilleur de la force qui lui manquait, Pascal Mouisset invite pour l’occasion l’artiste Ella Ngovan à investir l’installation à travers des captations vidéos – portraits à l’atelier dans lesquels l’artiste évoque le rapport romantique et charnel qu’elle entretient avec sa propre peinture, et où se mutliplient les échos aux pièces peintes de Pascal Mouisset.

Anastasia Baryshnikova
catalogue de la 72e édition de Jeune Création, mai 2022


La peinture de Pascal Mouisset ne pose ni la question du sujet ni la question de la forme, mais celle de l’instant – l’instant décisif, aurait dit Henri Cartier-Bresson.

Mais qu’est-ce que cela peut vouloir dire en peinture « l’instant » ?

Cela veut dire que dans la déferlante d’images qui caractérise nos quotidiens Pascal Mouisset ne cherche pas à en ajouter ou à en retenir, mais à voir et conserver ce voir. La peinture est chez lui le réceptacle d’une sensation, une délicatesse, un éclat, une ombre. Il s’agit d’une forme de prise de conscience dont la peinture prend acte.

« ce temps a eu une importance »
« ce temps a une importance »
« ce temps demeure important »

Peindre donne alors aux tableaux la qualité d’une vision ; eux-mêmes ont vu. Et dans l’aveuglement de la vision l’artiste opère un ralentissement tel que le calme s’impose. Face aux tableaux s’ouvre un silence proche de celui que l’on ressent la nuit, entré seul dans une voiture une fois la portière claquée : un silence qui referme le temps sur les bruits extérieurs tout en laissant paraître les flashs lumineux des phares et des enseignes fluorescentes, peu à peu adoucis par l’écrasement que provoque le pare-brise.

Mais la peinture n’est pas tout, et d’une certaine manière elle suffit rarement. Pascal Mouisset n’est pas naïf, il sait trop bien l’importance du contexte et des dispositifs pour laisser le hasard manger l’instant comme il le fait, 10 fois, 100 fois, 1 000 fois par jour. Ses tableaux, l’artiste tient à ne pas les laisser seuls. Il les veut préservés dans cette conscience de l’instant devenue chimérique. Ainsi, la délicatesse qu’il appelle dans ses titres n’est pas pour ceux qui regardent son travail, mais pour le travail lui-même. C’est avec les œuvres qu’il faut être délicat, elles qu’il faut choisir de prendre avec sincérité. Pour cela les tableaux revêtent des garde-corps, avancent sur des roulettes, ou encore, cachent leurs reflets derrière ceux d’une vitre. Ils sont dans la vie comme la vie est avec eux, paradoxalement aussi barricadés que mis en danger. Le comble enfin, il lui arrive de ne pas montrer ses tableaux mais simplement des photographies des tableaux tirées à l’échelle, telles des vanités face à l’abîme où plonge le regard quand il ne sait pas qu’il est presque toujours la dupe de sa propre perfection. Autant d’artifices qui mettent une distance entre l’observateur et le tableau, mais cette distance est toujours une distance annoncée et bien visible, elle n’a d’autre objectif que de forcer le regard à prendre conscience de lui-même.

D’une certaine manière on pourrait presque dire que la peinture de Pascal Mouisset glisse. Elle glisse et se répand – elle fuit. Les images qu’elle laisse voir à sa surface ne disent pas autre chose. Elles semblent toujours un peu noyées, troublées par la matière même de la peinture que l’on s’imagine volontiers être sur le point de s’échapper, telle l’eau au fond d’un évier au moment où l’on en retire la bonde : fleurs, reflets d’éclairages, objets entassés, néons et autres réminiscences aqueuses et éclectiques vont sous peu passer l’étranglement du goulot qu’une main distraite vient d’ouvrir – sans même y penser –, sans même se poser la question de ce qui disparaissait, sans un instant songer que pour les voir, et c’est trop tard, il fallait être là au bon moment, pas avant, pas après.

Qu’importe alors le sujet ou la forme, l’instant est maître. Un maître fragile pourtant, et c’est cela qui donne toute sa beauté à la durée que l’on consacre – ou non – aux tableaux de Pascal Mouisset.

Benoît Blanchard, L’Instant
publié sur www.boumbang.com, septembre 2019


Pascal Mouisset, nourri comme tous les peintres de sa génération de Land art, de concept et d’installations, apporte une réponse originale et complexe, riche d’ouvertures sur de nouveaux champs formels.
Sa peinture est une plongée dans les profondeurs de l’Histoire, quand la nature était menaçante, les hommes sauvages et gouvernés par la peur. Mais ce n’est pas une peinture qui décrit ou représente.

Déjà de 2006 à 2009 dans la série d’acryliques regroupée sous le titre « Décor, berges du Tarn », il y avait volonté allusive et retenue dans la transcription des formes- couleurs : le regard pouvait choisir de s’arrêter sur un point-accroche ou de vagabonder d’une image à l’autre car déjà, de l’une à l’autre, plusieurs temps, plusieurs focales, plusieurs angles de vue alternaient. On savait juste que l’on était dans l’herbe d’un pré ou au bord d’une rivière… mais avec l’œil fixe de celui qui est parti dans ses rêves et n’accommode déjà plus vraiment.

Aujourd’hui les dispositifs sont beaucoup plus ambitieux. La vision n’est plus frontale. Ou plus seulement. On entre dans le paysage. Physiquement. Il nous enveloppe immédiatement et nous sollicite de toutes parts.
On est d’abord dérouté par la complexité de chaque création : des tableaux, nombreux souvent, de tailles et formats différents, certains verticaux accrochés aux murs, ou en avancée sur structures en bois, d’autres posés au sol, ou surélevés sur des socles. Mais aussi parfois des éléments symboliques (tas de terre, cendres, bûches de bois…), des écritures, des structures mobilières basiques, une bande son…

On peut opter pour l’installation plasticienne, le décor de théâtre, le sas expérimental de décompression, ou même l’espace ludique pour future séance de psychodrame… car ces caissons sensoriels et mentaux fonctionnent à la façon des planches de tests de Personnalité : les formes imprécises, les clairs-obscurs, les passages du chaud au froid, de l’ombre à la lumière, la perte des repères traditionnels obligent chacun à projeter « sa » lecture.

Danielle Chevalier
publié sur www.danielle-chevalier-blog.fr, 2014